Il est grand temps de se pencher sur une question cruciale : le féminisme actuel est non seulement un reflet de notre époque, mais aussi le produit de nos propres actions, de notre indifférence, de nos luttes et de nos contradictions. On ne peut s’empêcher de constater que le féminisme que nous embrassons aujourd’hui, avec ses multiples facettes et ses aspérités, est en grande partie une manifestation de notre propre engagement, ou parfois de notre désengagement, face à ce combat. Alors, avons-nous vraiment le féminisme que nous méritons ?
Pour répondre à cette profonde interrogation, il convient d’explorer les racines de l’actualité féministe. Depuis des décennies, ce mouvement a évolué, s’est diversifié, s’est radicalisé par moments. Mais ce faisant, il a souvent omis de se remettre en question, de s’auto-analyser. Les féministes d’hier n’auraient sans doute jamais imaginé que leurs luttes seraient un jour instrumentalisées par des perspectives qui les contredisent. Quelle ironie ! Ce féminisme d’apparence inclusif, qui prône l’égalité, se heurte parfois à des réalités bien plus complexes.
Un des aspects les plus fascinants du féminisme contemporain est cette dualité qui le traverse. D’un côté, il y a un féminisme de la réussite, celui qui s’est largement intégré dans le système capitaliste, celui qui promet aux femmes de fracturer le plafond de verre, de briller dans des sphères dominées par les hommes, d’obtenir les mêmes promotions, les mêmes salaires. Ce féminisme, bien que séduisant, ne prend que peu en compte les femmes qui n’ont pas les moyens d’accéder à ces places, ni même les luttes plus radicales qui exigent une remise en question systémique des structures de pouvoir. Dans cette quête effrénée de l’intégration, des voix essentielles se sont perdues, noyées sous le poids d’un individualisme exacerbé.
De l’autre côté, nous observons un féminisme intersectionnel qui aspire à reconnaître les différentes oppressions que subissent les femmes. Ce courant, riche en réflexions, nous rappelle que la lutte pour les droits des femmes ne peut se faire sans considérer la race, la classe sociale, l’orientation sexuelle et d’autres critères qui influent sur l’expérience de la féminité. Mais encore une fois, cette multiplicité est parfois étouffée par la culture de l’étiquette, où l’usage de terminologies fétichisées finit par réduire la complexité des réalités. L’activisme se transforme alors en un soliloque de belles paroles, où le sens même de la lutte perd de son panache.
Il est primordial d’interroger nos motivations et nos actions. Un féminisme authentique doit se nourrir de l’auto-critique. Que signifie réellement se revendiquer féministe aujourd’hui ? Se contenter de partager des mèmes sur les réseaux sociaux, de participer à des marches ou de revendiquer des droits sans utiliser ces actions comme tremplin pour une réflexion plus profonde ? Cela équivaut à se dire que l’on agit, alors qu’en réalité, l’on reste en marge d’un mouvement limité dans sa perspective. Nous nous complaisons dans une zone de confort intellectuel au lieu de réellement interroger les structures de pouvoir qui nous entourent.
En sus de cette dilatation de la lutte, il s’agit aussi d’interroger la fascination qu’exerce le féminisme. Pourquoi, finalement, cette mouvance passionne-t-elle autant ? Peut-être parce qu’elle remet en cause des normes établies. Peut-être parce qu’elle incarne une rébellion contre l’ordre patriarcal. Cependant, cette fascination peut parfois se transformer en un phénomène de mode, une vague à surfer sans réellement saisir la profondeur de la marée. Fuir l’authenticité pour embrasser une appropriation superficielle est un danger que de nombreux mouvements sociaux affrontent aujourd’hui. Le féminisme vocationnel doit aller plus loin que ces apparences.
Dans cette dynamique, il est impératif de réfléchir à l’avenir du féminisme et à ce que nous pouvons en faire. Amener les voix marginalisées au cœur du débat est à la fois un défi et une nécessité. La pluralité des voix enrichit le discours, mais elle exige également un effort sincère pour écouter celles et ceux qui sont souvent réduits au silence. Reconnaître les luttes des autres, c’est aussi s’inscrire dans une démarche de solidarité véritable, loin de l’égoïsme d’un féminisme qui se voudrait univoque.
Il est donc temps de se demander si le féminisme que nous avons aujourd’hui est à la mesure de nos attentes. Cela implique une introspection collective, un examen de conscience qui doit être une priorité. Revendiquer le féminisme sans véritable engagement, c’est perpétuer une illusion. Si nous souhaitons un mouvement qui soit véritablement porteur de changements, il va falloir déterrer nos préjugés, nous confronter à nos propres contradictions et, surtout, réinventer un féminisme qui soit conscient de son histoire, de ses failles, et de sa capacité à évoluer.
En somme, “On a le féminisme qu’on mérite” ne se veut pas un constat désenchanté, mais un appel à l’éveil et à l’action. L’autocritique est un vecteur de croissance. Revendiquons un féminisme qui soit inclusif, radical, audacieux, et, surtout, qui n’hésite pas à se remettre en question pour mieux se renforcer. Car, finalement, les luttes d’aujourd’hui dessinent les horizons de demain.