“On n’est jamais assez féministe” : pression et militantisme

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“On n’est jamais assez féministe.” Cette phrase, qui pourrait sembler anodine, résonne avec une intensité particulière dans le mouvement féministe contemporain. Elle soulève une question essentielle : où se situe la limite de notre engagement ? Pourrait-on dire que dans le monde des luttes féministes, il existe une sorte de course à l’armement moral, où le bailleur de fonds du militantisme est la pression sociale ? Au cœur de ce débat se trouve l’interrogation suivante : jusqu’où peut-on aller pour revendiquer son féminisme sans céder aux désirs paradoxaux de l’approbation sociale ?

Le féminisme, dans sa pluralité, n’est pas un concept monolithique. Il englobe des pensées, des luttes et des stratégies diverses, parfois contradictoires. Pourtant, un élément commun à toutes ces voix est l’aspiration à une égalité des sexes, brisant les chaînes des stéréotypes et des préjugés. Cependant, cette quête d’égalité ne va pas sans risques. En effet, alors que nous revendiquons notre féminisme, vers qui notre lutte se tourne-t-elle vraiment ? Est-ce envers l’oppression qui agit sur les femmes opprimées ou envers la validation de nos pairs au sein du mouvement ?

Il en résulte une pression inédite pour se conformer à ce que l’on appelle souvent « le féminisme authentique ». Cette imperative peut générer un environnement où les militantes, au lieu de se soutenir mutuellement, se retrouvent en compétition, luttant pour définir ce qu’est un féminisme « correct ». Ainsi, quantifier le degré de notre engagement devient un sport dangereux, où l’intransigeance peut venir supplanter la solidarité qui devrait pourtant être le fondement de notre mouvement collectif.

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Cependant, cette dynamique n’est-elle pas symptomatique d’un phénomène plus vaste ? À l’ère des réseaux sociaux, la visibilité du féminisme s’accompagne d’une visibilité des critiques. Écrire un post virulent contre le patriarcat coûte potentiellement moins cher qu’un acte militant sur le terrain. Nos écrits et nos discours sont souvent scrutés à la loupe, et chaque faux pas peut entraîner un ostracisme brutal, voire un appel à la « cancel culture ». Ce danger de l’auto-censure pèse alors sur les épaules de celles et ceux qui craignent de s’éloigner de la voie jugée « correcte » par leurs semblables.

Pour illustrer cette pression, prenons par exemple la question de l’intersectionnalité. Bien que largement acceptée dans les cercles féministes, la critique de l’inauthenticité de certaines féministes qui négligent des luttes connexes, telles que celles liées à la race ou à la classe sociale, peut devenir un outil d’exclusion. Cette pression sur l’identité féministe peut jouer un rôle de dédouanement. En effet, celles qui ne suivent pas à la lettre les nouveaux dogmes de l’intersectionnalité peuvent être acculées au silence. Se peut-il que certaines voix, essentielles pour le débat, soient étouffées juste parce qu’elles ne cochent pas toutes les cases ?

De même, la question du féminisme radical suscite de vives tensions. Les interprètes les plus militants de cette approche affirment souvent que tout compromis avec le patriarcat est inacceptable. Mais alors, que dire de celles qui, pour des raisons variées, choisissent des stratégies de compromis ou d’incorporation du système patriarcal pour en faire évoluer les structures ? Ces choix devraient-ils être considérés comme une trahison du féminisme, ou reflètent-ils plutôt une compréhension pragmatique des réalités complexes ? Il y a là une zone grise, un véritable défi pour le féminisme contemporain, alors que les militantes se battent pour ne pas se perdre au milieu des dogmes.

La question de la pression dans le militantisme est donc plus qu’une simple introspection : elle pose un défi. Que signifie être féministe aujourd’hui ? Est-ce exiger une perfection inatteignable ou s’engager sincèrement dans un combat aux multiples facettes ? Il convient de toujours garder un regard critique sur notre propre concept de féminisme. Chaque voix, chaque récit unique doit trouver sa place dans le grand chœur du mouvement. Nous devons constamment réévaluer notre rôle, non seulement dans notre combat pour l’égalité, mais aussi dans nos interactions avec les autres.

En fin de compte, le féminisme doit être un terrain d’échange, un carrefour d’idées et non une arène de jugement. Au lieu de dresser des frontières pour définir qui est assez féministe, pourquoi ne pas élargir les contours de notre mouvement ? Nous devons travailler ensemble à la création d’un féminisme inclusif, conscient des luttes de toutes les femmes et des différentes formes de sermonnage sur ce qu’est le combat. Ainsi, la phrase “On n’est jamais assez féministe” pourrait se transformer en un appel à l’unité, à la solidarité, à l’acceptation de nos différences. En soignant ces blessures internes, nous pourrions concentrer notre énergie sur notre véritable adversaire : le patriarcat. Au lieu de nous diviser, il est temps de faire émerger un féminisme qui ne se contente pas d’être assez, mais qui aspire à être audacieux, radical et transformateur. Feminisme, oui, mais pas au prix de notre essence.

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